Thierry Bisaga, vous publiez avec Sandy Campart aux éditions Ems Management : « Investir Responsable. Et si on donnait du sens à nos placements ? ». Comment ont évolué les contours de l’investissement responsable ces dernières années ?
En tant que journaliste, j’ai commencé à m’intéresser aux thèmes liés à l’investissement responsable dès le début de ma carrière, il y a une vingtaine d’années. On parlait alors davantage de finance éthique et les sociétés de gestion qui pratiquaient véritablement une gestion responsable se comptaient sur les doigts d’une main. La demande, très marginale, émanait alors principalement d’associations caritatives, de collectivités et de groupements religieux souhaitant que leur trésorerie soit mobilisée à bon escient.
Au même moment, la recherche du profit a conduit à des comportements irrationnels de la part des investisseurs. Il en a résulté la bulle Internet et son éclatement. Les marchés envoyaient alors un nouvel avertissement aux investisseurs. D’autres ont suivi, notamment celui de 2008. Les crises à répétition et les abus de certains acteurs ont fini par stimuler l’action politique. Différentes initiatives, telles que celles émanant des Nations-Unis et que nous évoquons dans le livre ont eu un rôle structurant. Mais, à l’évidence, ce sont les Accords de Paris qui ont constitué la formalisation la plus marquante des objectifs à atteindre, tant pour les investisseurs que pour les entreprises, les États et les instances internationales.
Aujourd’hui, 7 ans plus tard, l’investissement responsable fait l’objet de réflexions stratégiques chez l’ensemble des acteurs de la gestion d’actifs. Il couvre à présent une grande diversité d’approches souvent combinées entre elles dans le cadre des processus de gestion. Chacune répond, selon les cas, à des spécificités culturelles, sociales, historiques ou règlementaires.
Pouvez-vous nous décrire ce changement de paradigme ?
Clairement, l’environnement et le climat sont les thèmes qui ont permis de construire les fondations de cette nouvelle manière de pratiquer la finance. Ils ont été les catalyseurs d’une refonte en profondeur des pratiques d’analyse et de gestion. Cela s’explique par le fait que, contrairement aux considérations sociales et de gouvernance, pourtant centrale dans nos sociétés depuis la révolution industrielle, la protection de l’environnement et la lutte contre le dérèglement climatique est l’affaire de tous, riches comme pauvres. Il est désormais question, ici, de la survie de l’humanité.
Ce qui est intéressant, c’est que ce démarrage tardif et la dynamique qui a suivi laisse entrevoir de nombreuses conséquences positives en termes environnementaux, sociaux et de gouvernance. Ainsi, les travaux sur la biodiversité sont aujourd’hui bien engagés, tout comme ceux qui concernent l’égalité, le bien-être, la santé ou encore la gestion des déchets. Sans faire une liste à la Prévert, les 17 objectifs de développement durable de l’ONU sont en ce sens un référentiel intéressant.
Certaines sociétés de gestion les utilisent d’ailleurs comme prisme d’analyse. Le phénomène en cours peut être décrit comme le passage d’une finance quasi exclusivement axée sur le rendement financier à une finance qui, sans oublier les exigences de résultats, remet l’humanité et son environnement au cœur des considérations économiques. Espérons qu’il s’agit bien là d’un changement de paradigme et que l’industrie financière transformera l’essai au cours des prochaines décennies en allant au bout des démarches initiées.
La gestion en “bon père de famille” pourrait-elle s’étendre à des solutions d’épargne pour le financement de grandes transformations sociétales ? Comment concevoir cette démarche ?
Avant tout, Investir responsable est un cheminement individuel. L’idée n’est pas de « consommer » les produits d’épargne libellés responsables, de partage ou solidaires qui sont proposés par un intermédiaire lambda, mais de définir une démarche d’investisseur ou d’épargnant responsable. La gestion en « bon père » ou « bonne mère » de famille repose quant à elle sur une approche équilibrée, sur un horizon de placement long, de son allocation patrimoniale.
Grâce à la diversité des produits de placement aujourd’hui proposés et en mobilisant le bon intermédiaire ou le conseil adéquat, il est possible de construire une stratégie patrimoniale autour de solutions qui permettent le financement des transformations sociétales que vous évoquez. À défaut d’être accompagné, il convient, comme le fait tout responsable de famille qui acquiert un produit ou un service, de vérifier l’adéquation du produit ou du service avec les objectifs retenus, tant financiers qu’extra-financiers.
Comment donner confiance ?
La réglementation et les labels œuvrent précisément dans ce sens. Il est de notoriété que la confiance se gagne sur la durée et, qu’une fois perdue, ce qui est beaucoup plus rapide, il est très compliqué de la reconquérir. La tâche est donc particulièrement ardue pour l’industrie financière qui a été régulièrement éclaboussée par des scandales tout au long de son histoire.
La bonne nouvelle est que la réglementation nationale et européenne évolue aujourd’hui dans le bon sens pour protéger au mieux les investisseurs. Combinée aux procédures désormais mises en œuvre par les sociétés de gestion et les concepteurs de produits d’épargne dans le cadre des labels, elle va incontestablement permettre de limiter la survenance de nouveaux dérapages.
Quelle perspective donnez-vous à l’investissement responsable et quelle étendue pourrait-il couvrir ?
Si le changement paradigmatique précédemment évoqué est confirmé, ce que j’appelle de mes vœux, l’investissement responsable va progressivement devenir la norme et s’appliquer à l’ensemble des produits de placement. Précédemment, c’était la cerise sur le gâteau, un supplément de rendement extra-financier à la rentabilité financière apportée par les investissements.
À présent, il s’agit, la plupart du temps, d’une partie intégrante – et même centrale – du processus de gestion déployé par les gérants, une condition sine qua non pour qu’un actif intègre un portefeuille. La mutation s’opère donc au sein des grandes classes d’actifs, mais aussi, bien que plus progressivement, dans celles qui sont plus marginales. Nombreuses sont les sociétés de gestion et les universitaires qui travaillent aujourd’hui activement à l’extension des approches durables et responsables à l’ensemble des classes d’actifs, y compris le non coté et les différentes approches de gestion alternative.
Thierry Bisaga est Diplômé de la Smurfit Business School de Dublin (MBS - programme Asset Management avec l’Université Bocconi de Milan et London Business School), de l’ENS GSI et des universités de Paris I, Metz et Nancy, Thierry Bisaga a évolué dans le monde de la banque (Banque Paribas), puis de la gestion d’actifs (Pioneer AM) avant d’initier différents projets entrepreneuriaux et, au cours des dix dernières années, de prêter sa plume à un grand nombre de publications françaises et luxembourgeoises comme l’As Patrimonial,…
En tant que journaliste, j’ai commencé à m’intéresser aux thèmes liés à l’investissement responsable dès le début de ma carrière, il y a une vingtaine d’années. On parlait alors davantage de finance éthique et les sociétés de gestion qui pratiquaient véritablement une gestion responsable se comptaient sur les doigts d’une main. La demande, très marginale, émanait alors principalement d’associations caritatives, de collectivités et de groupements religieux souhaitant que leur trésorerie soit mobilisée à bon escient.
Au même moment, la recherche du profit a conduit à des comportements irrationnels de la part des investisseurs. Il en a résulté la bulle Internet et son éclatement. Les marchés envoyaient alors un nouvel avertissement aux investisseurs. D’autres ont suivi, notamment celui de 2008. Les crises à répétition et les abus de certains acteurs ont fini par stimuler l’action politique. Différentes initiatives, telles que celles émanant des Nations-Unis et que nous évoquons dans le livre ont eu un rôle structurant. Mais, à l’évidence, ce sont les Accords de Paris qui ont constitué la formalisation la plus marquante des objectifs à atteindre, tant pour les investisseurs que pour les entreprises, les États et les instances internationales.
Aujourd’hui, 7 ans plus tard, l’investissement responsable fait l’objet de réflexions stratégiques chez l’ensemble des acteurs de la gestion d’actifs. Il couvre à présent une grande diversité d’approches souvent combinées entre elles dans le cadre des processus de gestion. Chacune répond, selon les cas, à des spécificités culturelles, sociales, historiques ou règlementaires.
Pouvez-vous nous décrire ce changement de paradigme ?
Clairement, l’environnement et le climat sont les thèmes qui ont permis de construire les fondations de cette nouvelle manière de pratiquer la finance. Ils ont été les catalyseurs d’une refonte en profondeur des pratiques d’analyse et de gestion. Cela s’explique par le fait que, contrairement aux considérations sociales et de gouvernance, pourtant centrale dans nos sociétés depuis la révolution industrielle, la protection de l’environnement et la lutte contre le dérèglement climatique est l’affaire de tous, riches comme pauvres. Il est désormais question, ici, de la survie de l’humanité.
Ce qui est intéressant, c’est que ce démarrage tardif et la dynamique qui a suivi laisse entrevoir de nombreuses conséquences positives en termes environnementaux, sociaux et de gouvernance. Ainsi, les travaux sur la biodiversité sont aujourd’hui bien engagés, tout comme ceux qui concernent l’égalité, le bien-être, la santé ou encore la gestion des déchets. Sans faire une liste à la Prévert, les 17 objectifs de développement durable de l’ONU sont en ce sens un référentiel intéressant.
Certaines sociétés de gestion les utilisent d’ailleurs comme prisme d’analyse. Le phénomène en cours peut être décrit comme le passage d’une finance quasi exclusivement axée sur le rendement financier à une finance qui, sans oublier les exigences de résultats, remet l’humanité et son environnement au cœur des considérations économiques. Espérons qu’il s’agit bien là d’un changement de paradigme et que l’industrie financière transformera l’essai au cours des prochaines décennies en allant au bout des démarches initiées.
La gestion en “bon père de famille” pourrait-elle s’étendre à des solutions d’épargne pour le financement de grandes transformations sociétales ? Comment concevoir cette démarche ?
Avant tout, Investir responsable est un cheminement individuel. L’idée n’est pas de « consommer » les produits d’épargne libellés responsables, de partage ou solidaires qui sont proposés par un intermédiaire lambda, mais de définir une démarche d’investisseur ou d’épargnant responsable. La gestion en « bon père » ou « bonne mère » de famille repose quant à elle sur une approche équilibrée, sur un horizon de placement long, de son allocation patrimoniale.
Grâce à la diversité des produits de placement aujourd’hui proposés et en mobilisant le bon intermédiaire ou le conseil adéquat, il est possible de construire une stratégie patrimoniale autour de solutions qui permettent le financement des transformations sociétales que vous évoquez. À défaut d’être accompagné, il convient, comme le fait tout responsable de famille qui acquiert un produit ou un service, de vérifier l’adéquation du produit ou du service avec les objectifs retenus, tant financiers qu’extra-financiers.
Comment donner confiance ?
La réglementation et les labels œuvrent précisément dans ce sens. Il est de notoriété que la confiance se gagne sur la durée et, qu’une fois perdue, ce qui est beaucoup plus rapide, il est très compliqué de la reconquérir. La tâche est donc particulièrement ardue pour l’industrie financière qui a été régulièrement éclaboussée par des scandales tout au long de son histoire.
La bonne nouvelle est que la réglementation nationale et européenne évolue aujourd’hui dans le bon sens pour protéger au mieux les investisseurs. Combinée aux procédures désormais mises en œuvre par les sociétés de gestion et les concepteurs de produits d’épargne dans le cadre des labels, elle va incontestablement permettre de limiter la survenance de nouveaux dérapages.
Quelle perspective donnez-vous à l’investissement responsable et quelle étendue pourrait-il couvrir ?
Si le changement paradigmatique précédemment évoqué est confirmé, ce que j’appelle de mes vœux, l’investissement responsable va progressivement devenir la norme et s’appliquer à l’ensemble des produits de placement. Précédemment, c’était la cerise sur le gâteau, un supplément de rendement extra-financier à la rentabilité financière apportée par les investissements.
À présent, il s’agit, la plupart du temps, d’une partie intégrante – et même centrale – du processus de gestion déployé par les gérants, une condition sine qua non pour qu’un actif intègre un portefeuille. La mutation s’opère donc au sein des grandes classes d’actifs, mais aussi, bien que plus progressivement, dans celles qui sont plus marginales. Nombreuses sont les sociétés de gestion et les universitaires qui travaillent aujourd’hui activement à l’extension des approches durables et responsables à l’ensemble des classes d’actifs, y compris le non coté et les différentes approches de gestion alternative.
Thierry Bisaga est Diplômé de la Smurfit Business School de Dublin (MBS - programme Asset Management avec l’Université Bocconi de Milan et London Business School), de l’ENS GSI et des universités de Paris I, Metz et Nancy, Thierry Bisaga a évolué dans le monde de la banque (Banque Paribas), puis de la gestion d’actifs (Pioneer AM) avant d’initier différents projets entrepreneuriaux et, au cours des dix dernières années, de prêter sa plume à un grand nombre de publications françaises et luxembourgeoises comme l’As Patrimonial,…